McKAY, Marseille et la chanson occitane contemporaine.
Par Sylvan Chabaud, professeur de Littérature moderne et contemporaine occitane, qui travaille autour de cette question avec ses élèves en Licence d’occitan à l’Université Paul-Valéry, Montpellier III
MoussuT chante McKay depuis 2005
Le roman Banjo de Claude McKay décrit la vie d’un quartier marseillais, le quartier Saint-Jean du Vieux-Port aussi appelé Bagatoni [Bagatouni] en provençal. Un lieu qui, au début du XXe siècle, est un véritable carrefour multiculturel où se croisent des populations venues du monde entier et, notamment, des afro-américains. Ce quartier a inspiré la création en langue d’oc, tels que le poète et chansonnier Victor Gélu (XIXe siècle) ou le romancier (et peintre) Valère Bernard (début du XXe siècle), entre autres.
Plus récemment, une voix majeure de la musique occitane contemporaine, l’artiste François Ridel (l’un des fondateurs du groupe de raggamufin Massilia Sound System), s’est à son tour inspiré de ce lieu mais aussi, et surtout, du livre de McKay.
Lorsqu’il crée le groupe Moussu T e lei jovents [Monsieur T (pour Tatou, nom de scène de François Ridel) et les jeunes] et qu’il sort le disque Mademoiselle Marseille en 2005, cet artiste met au cœur de son travail l’univers, les références, l’imaginaire et les réflexions que développe McKay dans son ouvrage. La pochette du disque illustre clairement cette filiation en reprenant une photographie d’époque : « dockers de la rue torte à Marseille, en 1925 » (fonds Gérard Detaille, ©Baudelaire) qui représente des musiciens, d’origines différentes, en pleine improvisation.
Bolega Banjò ! Boulègue Banjo !
Plusieurs chansons, dont le titre « Bolega Banjò » [Banjo, remue-toi !] ou « Au boui-boui de la rue torte » (voir les paroles et traductions ci-dessous) font directement allusion à des passages du roman de l’auteur jamaïcain, enfin le style musical de Moussu T e lei jovents puise ses sources dans le mento et les rythmes afro-américains des années 1920-1930.
En Licence d'occitan, dans le cours de TD associé au LAC6, les étudiants explorent les textes des chansons de Moussu T en regard avec le contexte historique marseillais des années 1920-1930, et des extraits du roman Banjo de Mc Kay. En complément, ils étudient d'autres auteurs occitans (XIXe et XXe siècle) évoquant l'univers cosmopolite et maritime du rivage provençal.
Sylvan Chabaud

A voir également : ZOU ! Shake that thing
Création musicale franco-américaine en hommage à Claude McKay. 2012
Arlee Leonard (New York) et Moussu T e Lei Jovents (Provence) proposent, à l'invitation d'Armando Coxe, une création originale autour du roman « Banjo » de Claude Mc Kay, un témoignage de la vie de la cité phocéenne dans les années 20. A l’aube de l’explosion créative afro américaine, le jazz débarque sur les quais et se mêle aux influences occitanes. Les musiciens des deux continents nous font redécouvrir la chanson marseillaise en mettant en miroir la musique afro américaine de l’époque imaginant ainsi un balèti « américano-marseillais ». Ils servent les oeuvres de Vincent Scotto, René Sarvil, Henri Alibert, André Grassi… comme celles de Papa Charlie Jackson, Jelly Roll Morton, Harry Reser, Ether Waters… C’est, en filigrane, l’histoire de la rencontre entre la musique Noire américaine et celle de Marseille et la Provence, pour pouvoir revisiter les sonorités de l’époque dans les deux pays et essayer de comprendre les télescopages musicaux qui ont marqué la création artistique contemporaine.

Bolega Banjò
(F. Ridel, S. Attard / F. Ridel, S. Attard)
Un còp de mai lo soleu es anat dormir
e çai siam sus nòstei dos pès.
Un còp de mai lo soleu es anat dormir
e siam encà tornats vivents de la bochariá.
Anem ! Bolega Banjò, bolega !
Que farai un refranh que serà pas
dins la lenga dei generaus.
Marsilha, Marsilha,
Ai ma copa plena.
Marsilha, Marsilha,
Vòli cramar ma codena.
Marsilha, Marsilha,
Ambé ieu fagues pas la damòta !
Encara una jornada que nos an pas
contorolat lei papiers.
Encara una jornada qu’avèm escapat
a n’aquesto putan de contorole dei papiers.
Anem ! Bolega Banjò, bolega !
Que farai un refranh que serà pas
dins la lenga d’aquelei marca-mau.
Un còp de mai la nuech nos trobarà amb’
au fons de la pòcha un pichon quauqua ren.
Un còp de mai la nuech nos trobarà ambé
dins la pòcha de que se far un pauc de ben.
Anem ! Bolega Banjò, bolega !
Que farai un refranh que serà pas
dins la lenga dau capitau.
Une fois de plus le soleil est allé dormir
et nous sommes ici sur nos deux pieds.
Une fois de plus le soleil est allé dormir et nous
sommes encore
revenus vivants de la boucherie.
Allez ! Banjo remue-toi !
Parce que je vais faire un refrain qui ne sera pas
dans la langue des généraux.
Marseille, Marseille,
J’ai la coupe pleine.
Marseille, Marseille,
Je veux brûler ma couenne.
Marseille, Marseille,
Avec moi ne fais pas la mijaurée !
Encore une journée où ils ne nous ont
pas contrôler les papiers.
Encore une journée où nous avons échappé
à ce putain de contrôle des papiers.
Allez ! Banjo remue-toi !
Parce que je vais faire un refrain qui ne sera pas
dans la langue de ces minables.
Encore une fois la nuit nous trouvera avec
au fond de la poche un petit quelque chose.
Encore une fois la nuit nous trouvera avec
dans la poche de quoi se faire un peu de bien.
Allez ! Banjo remue-toi !
Parce que je vais faire un refrain qui ne sera pas
dans la langue du capital.

Au boui-boui de la rue Torte
(F. Ridel, S. Attard / F. Ridel, S. Attard)
J'aimerais avec toi, ma brune,
M'en aller flâner sur les quais,
Voir les grands paquebots qui fument,
Les trésors qu'ils ont débarqués.
Balader aux bras de ma reine,
Dans les vieux quartiers circuler,
Apprendre les chansons lointaines
Des marins et des exilés.
Et que le diable m'emporte
Voir si ma voix n'est pas morte,
J'aimerais pousser les portes
Du boui-boui de la rue Torte.
J'aimerais avec toi, ma douce,
Entendre les récits d'ailleurs,
Les langues qu'ici le vent pousse
Pour le pire ou pour le meilleur.
Serré contre toi, ma petite,
J'aimerais pour chasser l'hiver
Suivre les parfums qui t'invitent
De l'autre côté de la mer.
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